Vendredi 9 mars 2018, Sandra Forgues est devenue la première championne olympique française à faire son coming out médiatique comme femme transgenre. Cette nouvelle a fait, ce jour là, la une de L’Équipe. A l’intérieur, une double page est consacrée à l’interview de l’athlète. Il faut saluer ce choix éditorial du quotidien sportif national.
Les personnes LGBT sont partout, mais il apparaît que dans le sport, notamment, l’omerta reste la règle. Dans le sport de haut niveau en France, la pionnière, Amélie Mauresmo, il y a bientôt vingt ans (!), fait figure d’exception, avec les handballeuses Alexandra Lacrabère et Amandine Leynaud et la basketteuse Elodie Godin… Or, il n’est plus à prouver l’importance d’avoir des porte-voix, des « exemples » auxquels s’identifier quand on est un·e jeune LGBT, notamment.
Le choix de L’Équipe fera date
Pour la visibilité des personnes LGBT, en l’occurrence des personnes trans, le choix de L’Équipe est donc important. Il fera date. Cette interview permet d’offrir à un large public une vision de la transidentité. Un parcours, aussi bien personnel, sportif que professionnel. Dans les heures qui ont suivi la publication de l’interview, l’information a été largement reprise. L’Association des journalistes LGBT ne peut que se féliciter qu’un large écho soit donné au coming out trans d’une personne publique.
Les articles de Libération, mais aussi du Monde, du Huffington post, de 20 Minutes ou la reprise de l’interview de L’Équipe dans la revue de presse de la matinale d’Europe 1, notamment, apparaissent comme exemplaires ou en tout cas très positifs dans le traitement de cette information.
Plusieurs écueils évités
L’AJL note que ces médias ont évité plusieurs écueils. D’abord le mégenrage de Sandra Forgues, c’est-à-dire, en particulier, l’utilisation de pronoms masculins pour désigner la sportive. L’athlète a beau avoir obtenu ses médailles chez les hommes, à aucun moment il ne serait justifié d’utiliser le masculin pour parler de quelqu’un qui se définit comme une femme. En jeu : le simple respect de la personne. L’utilisation, dans le cas présent, d’un “masculin passé” et d’un “féminin présent” entretiendrait une confusion inutile.
Ensuite, l’utilisation ad nauseam de l’ancien prénom (ou “dead name”) de Sandra Forgues. En principe, il n’est absolument pas nécessaire de l’utiliser. Le fait qu’en France l’état-civil n’est le plus souvent modifié que des mois voire des années après que les personnes trans aient socialement changées de prénom ne peut en aucun cas être une justification. Mais, dans ce cas précis, il s’agit du coming out d’une personne publique. Difficile de ne pas utiliser ce “dead name”, ne serait-ce que pour replacer le contexte. A l’exception de Libération, qui ne l’utilise carrément pas, ces médias ont non seulement limité au minimum le recours à cet ancien prénom mais lui ont aussi donné une place très secondaire, notamment dans la titraille. Bravo !
Enfin, les clichés, images caricaturales, formules choc… bref, les béquilles journalistiques superflues ont le plus souvent été évitées. L’important, dans le traitement de la transidentité, est de s’en tenir aux propos de la personne et de ne pas plaquer une vision plus ou moins fantasmée, souvent liée à une méconnaissance du sujet. Les personnes trans sont les mieux placées pour parler de leurs vies !
Les clichés présents dans certains articles
Ces remarques prouvent qu’un traitement positif d’un coming out trans en France est donc possible ! Mais l’AJL se doit de noter que ce n’est pas le cas partout. Mégenrage, utilisation de l’ancien nom et clichés ont encore fait florès dans certains articles. Dans les interviews données par Sandra Forgues à différents médias, les questions ont en outre parfois été problématiques.
Lui demander où elle en est de sa transition, notamment “au niveau chirurgical”, est profondément intrusif voire irrespectueux. Nous ne pouvons que regretter qu’en 2018 une importance démesurée soit encore accordée à la question de la transition physique. Cela alors que les personnes trans sont victimes de discriminations sociales ou administratives, thème d’ailleurs abordé dans L’Équipe. Par ailleurs, insister sur le fait que “malgré cette dysphorie”, Sandra Forgues ait été mariée à une femme et ait eu des enfants entretient la confusion entre homosexualité et transidentité. La championne le rappelle d’ailleurs dans L’Équipe : toutes les orientations existent chez les personnes trans. Orientation sexuelle et identité de genre sont deux notions distinctes.
La transidentité est un sujet complexe à traiter. Mais il faut absolument avoir conscience du caractère potentiellement offensant de l’emploi de certains termes ou de l’angle de certaines questions. Il importe d’aborder le sujet avec humilité et rigueur journalistique, s’informer sur les termes et usages étant une première étape. L’AJL invite les journalistes à consulter son kit “Informer sans discriminer” quand ils ou elles sont confronté·e·s à de tels sujets.
Merci pour votre travail d’analyse. Je base tout mon travail de veille média trans sur votre guide et celui de Glaad (US) et je le recommande le plus possible.
Voir http://www.pressetrans.org, page Facebook Espace Presse Transgenre