Le 1er juin, Caitlyn Jenner faisait la Une de Vanity Fair, nouvelle étape d’un coming-out trans* très médiatisé pour celle qui s’est fait connaître par sa carrière sportive olympique et par son mariage avec Kris Jenner, mère de Kim Kardashian.
Marine Le Breton signe à ce sujet dans le Huffinton Post un papier très didactique qui rappelle cette règle facile, qu’aurait pu suivre tou.te.s nos consoeurs et confrères: «C’est pourtant simple, quand une personne annonce qu’elle se définit d’un genre, il suffit de le respecter et d’employer le pronom adéquat. Si Chelsea Manning demande d’être appelée Chelsea, il ne faut plus l’appeler Bradley.» (Comment parler des personnes trans?)
Têtu titre «Somptueuse en Une de « Vanity Fair », Caitlyn Jenner marque à nouveau l’Histoire» : «”Call me Caitlyn”, appelez-moi Caitlyn, affirme le beau-père de la star de télé-réalité Kim Kardashian, l’ancien athlète Bruce Jenner, qui a fait son coming-out trans à la télévision américaine il y a un mois. C’est la première fois qu’elle révèle le prénom féminin qu’elle s’est choisie, en gros titre sur la couverture du magazine. En body bustier de satin blanc, elle regarde droit dans l’objectif de la grande photographe de célébrités Annie Leibovitz.»
BuzzFeed, de son côté, propose un article signée Assma Maad, dont le chapeau est l’un des rares à parler de «l’ancienne championne olympique», rappelant que «beaucoup n’ont pas su utiliser le bon vocabulaire pour parler d’elle».
Effectivement, beaucoup de journalistes français.e.s se sont montré.e.s réticent.e.s à accéder à la demande de Jenner et à, tout simplement, l’appeler Caitlyn.
Ainsi, pour RTL, «Bruce Jenner devient Caitlyn et enflamme la toile en couverture de « Vanity Fair »». Melty s’attache également au prénom masculin de Caitlyn et se demande «Bruce Jenner devenu Caitlyn, comment Kylie et Kendall vont l’appeler?»
Slate se prend les pieds dans le tapis et titre son papier d’un «Les mille et une manières de faire son coming-out pour un trans’» assez maladroit dans le cas présent.
Dans le Nouvel Obs, Alice Pfeiffer pose des questions pertinentes sur la fluidité des question de genre dans Ni hommes, ni femmes : la culture post-genre contre les diktats des sexes; mais la journaliste nous perd quand elle choisit arbitrairement de rapprocher le coming-out d’une éventuelle démarche « queer » et de mentionner Caitlyn comme «un/e Bruce Jenner « femme »». Et de rappeler la soi-disant « théorie du genre », de parler d’«imitation» des codes féminins chez Andreja Pejic (en utilisant le prénom sous lequel la top model était connue auparavant) et plus généralement, de se mélanger les pinceaux en considérant que la transition de Caitlyn Jenner fait partie d’une démarche de « non choix », presque un effet de mode.
Thomas Durand, dans Gala.fr (Caytlin Jenner: la nouvelle bimbo du clan Kardashian?), s’embrouille dans ses considérations philosophiques, ajoutant du sexisme à la transphobie : «En ce siècle grippé par le déterminisme et l’obscurantisme, il faut au contraire bien du courage pour assumer et vivre pleinement ses aspirations profondes. Reste qu’à soixante-cinq ans, l’ex-médaillé olympique de décathlon ne nous invite même plus à débattre sur la théorie du genre. Photographié(e) tel(le) une pin-up par Annie Leibovitz, Bruce-Caytlin Jenner incarne un nouveau constat : on ne naît pas bimbo, on le devient.»
De son côté, Séverine Servat, toujours sur Gala.fr, ne fait pas mieux et se demande si les enfants de Kim Kardashian appelleront «leur grand-père «grand-ma»?» : «Autrefois on avait des arbres généalogiques, mais désormais, puisque la chirurgie permet de changer de sexe A lui/elle de trouver le nom par lesquels ses beaux petits-enfants (Bruce n’est pas le père de Kim – qui est décédé – mais son beau-père, cependant il l’a élevée comme sa fille durant ses 22 ans de mariage avec sa mère) pourront l’appeler.»
La palme de la transphobie est à réserver à MadameFigaro.fr : Au fil d’un portefolio nommé «la première photo de Bruce Jenner en femme enfin dévoilée», l’auteur égrène les réflexions transphobes et enchaîne les fautes de genre. De «Bruce Jenner, l’homme qui voulait être une femme» à «Un prédateur sans pitié», tous les poncifs trop souvent associés aux personnes trans sont repris pour faire du sujet une bonne blague. Caitlyn y est uniquement évoquée que comme Bruce, sous des pronoms masculins. Suite aux réactions fortement négatives provoquées par l’article sur les réseaux, la journaliste, qui a visiblement beaucoup de mal à comprendre pourquoi Jenner voudrait «devenir une femme», a modifié une des légendes qui affirmait qu’avant de rencontrer les Kardashian, Jenner était «un homme sain».
A la radio publique aussi, Caitlyn s’est vue maltraitée. Le 2 juin, Bruno Duvic la mentionne dans sa Revue de Presse sur France Inter mais parle de «Bruce, un transgenre».
L’épisode «Paroles de trans» de l’émission A’Live de Pascale Clark du mardi 9 juin, toujours sur France Inter, est aussi un très «bon» mauvais exemple des problèmes de traitement des questions trans. (L’émission peut être réécoutée en ligne) Il a été beaucoup question justement de la façon de se comporter des médias, et les réponses de Pascale Clark illustrent parfaitement une certaine approche journalistique problématique : «Bah quoi, moi, je pose les questions que tout le monde se pose hein». On pourrait lui rétorquer que justement, en tant que journaliste, tu ne te poses pas les questions que tout le monde se pose, et que d’ailleurs, tu ne procéderais pas ainsi vis-à-vis d’autres sujets. Coline, qui intervenait pendant l’émission, en fait un compte-rendu catastrophique, avec humour, sur un post facebook : «oups c’est idiot, je pensais aller chez Pascale Clark, et je me suis trompée d’émission, je suis allée chez Evelyne Thomas.»
On le voit, le coming-out de Caitlyn aura donc perturbé nos collègues, et certain.e.s auraient probablement eu besoin de l’aide d’un robot au moment de rédiger leurs papiers, à l’instar du bot twitter anglophone mis en place par Caitlin Dewey, «she not he» (@she_not_he), qui relève et corrige l’utilisation du mauvais pronom.
Aux États-Unis, quand AP a tweeté un message avec le mauvais genre, qui a presque immédiatement été supprimé, l’association des journalistes LGBT américaine a d’ailleurs rappelé ses conseils de bonnes pratiques pour traiter les sujets concernant des personnes trans*. (Des conseils qui se rapprochent de ceux que l’AJL a formulés dans son kit.)
Enfin, Marie-Pierre Pruvot, alias Bambi, dans Caitlyn Jenner : trans, j’ai vécu dans l’anonymat. Le succès peut aussi nous nuire sur Le Plus, nous rappelle que toutes les personnes trans*, bien évidemment, ne recherchent pas la surexposition médiatique, mais que la visibilité médiatique peut être vecteur de progrès: «Si les coups médiatiques risquent de nuire à notre cause, la presse est indispensable à l’insertion progressive des personnes transsexuelles dans la société. En traitant régulièrement du sujet, elle les montrera telles qu’elles sont, rien de plus ni de moins que des citoyens ordinaires qui aspirent à ne pas être tenus à la marge, mais à être assimilés sans bruit par la société.»
L’auteure américaine et activiste trans* Janet Mock a publié une longue entrée sur son blog (Revealing Caitlyn Jenner: My Thoughts on Media, Privilege, Healthcare Access & Glamour), pour continuer la discussion autour du coming-out de Jenner et tente de dissocier le traitement médiatique et ce que les personnes trans* peuvent en attendre : «Faire de toute personne trans un symbole pour toute une communauté est une tâche injuste. Personne ne peut parler seul.e des réalités intersectionnelles, diverses et multidimensionnelles à travers lesquelles les personnes trans expérimentent le monde. Voilà pourquoi il est nécessaire de créer un espace pour la nuance et d’amplifier les voix de celles et ceux qui ne sont souvent pas entendu.e.s.»
En déclarant «I am Caitlyn», Jenner nous parle avant tout de son parcours, mais aussi de celles et ceux que nous refusons souvent d’entendre et interroge les médias sur leur traitement des questions liées aux personnes trans*.