PMA pour toutes : où sont les voix des lesbiennes ?

À l’occasion de la publication de l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le projet de loi bioéthique à venir, l’AJL s’inquiète du traitement médiatique de l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires. Le constat est simple : le nombre de femmes invitées à s’exprimer sur l’extension de la PMA est très faible, tandis que les hommes et les opposant·e·s à l’évolution du droit – La Manif pour tous et l’Église catholique en tête – sont de tous les plateaux.

L’AJL a contacté de nombreuses femmes, lesbiennes pour la plupart, facilement identifiables sur la question de la PMA. En cette rentrée, très peu d’entre elles ont été sollicitées pour une réaction, une interview ou un témoignage (liste infra). Même la championne de tennis Amélie Mauresmo, qui a ouvertement pris position en faveur de la PMA pour toutes et a elle-même eu recours à la technique avec sa compagne, n’a pas été sollicitée.

« Je regrette que, depuis la rentrée parlementaire, seules les voix de l’opposition à la PMA pour toutes aient été écoutées, comme cela a d’ailleurs été le cas au début de l’année au cours des ateliers organisés pour laisser s’exprimer la population », déclare à l’AJL Laurence Vanceunebrock-Mialon, députée LREM, mère de deux enfants nés de PMA. L’élue, qui a fait son coming out il y a près d’un an, a été contactée seulement hier, mardi 24 septembre 2018, pour intervenir sur ce sujet majeur de la rentrée.

LE MÊME TRAITEMENT PROBLÉMATIQUE QU’EN 2013 ?

Le traitement biaisé de l’ouverture du mariage à tous les couples en 2013 semble se reproduire avec l’extension de la PMA. Les médias n’ont-ils rien appris ? « Au nom d’une pseudo-contradiction [sur les plateaux de télévision], on fait la part belle aux opposants », résume à l’AJL Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris, qui est elle aussi l’une des rares femmes lesbiennes à pouvoir s’exprimer dans les médias sur la question. « On a vraiment l’impression que les lesbiennes et les femmes sont les boucs émissaires d’une course entre les médias pour le fric et le buzz. Les invités sont tous plus réacs les uns que les autres. Il y a une prime au trash c’est regrettable, le peu où je suis invitée j’espère dire des choses. »

Marie Labory, journaliste à Arte, évoque sa « lassitude devant la répétition des approximations et des erreurs déjà entendues lors du mariage pour tous » et s’inquiète pour la suite. Depuis 2013, elle a eu des enfants qui, cette fois « vont entendre les horreurs proférées par ceux qui s’opposent à leur existence”. Vient alors la colère, contre ses « confrères journalistes qui se contentent de justifier le fait qu’ils tendent leur micro au pire par une soi-disant égalité de parole. C’est faux puisqu’on n’entend quasiment jamais les lesbiennes. Et c’est malhonnête parce qu’on demande leur avis à des gens qui le plus souvent n’ont aucune légitimité pour le donner et qui ne sont là que pour les phrases percutantes qui feront le buzz sur les réseaux sociaux. Sur notre dos. Sur nos vies. Sur celles de nos enfants. »

Et RAG, DJ bien connue des nuits lesbiennes parisiennes de conclure : « Comme d’habitude les principales intéressées sont complètement invisibilisées. Et pour nous, c’est la double peine : femmes ET lesbiennes. »

DONNER LA PAROLE AUX PREMIÈRES CONCERNÉES

L’AJL appelle les chaînes d’informations, les radios et l’ensemble de la presse à donner la parole aux personnes concernées par les sujets traités, ces personnes étant souvent les mieux informées. A contrario, la recherche d’interlocuteurs ou d’interlocutrices prétendument « neutres » conduit à reproduire les discours en réalité subjectifs des personnes majoritaires ou pire, de groupes réactionnaires qui  s’illustrent régulièrement par des propos homophobes, toujours sous couvert de « symétrie ». Mais, encore une fois, où sont les voix des lesbiennes et des femmes seules ?

« Je suis surprise de constater que l’ensemble des médias n’accordent pas plus de place aux personnes concernées directement par la question PMA », estime Mathilde Guermonprez, autrice d’un documentaire diffusé sur Arte radio qui relate ses démarches en vue d’adopter son propre fils, porté par sa compagne. « Je pense que l’opinion des concernées ne les intéresse pas », ajoute Émilie Jouvet, réalisatrice d’un film sur son parcours de PMA.

Elles sont ouvertement lesbiennes –pour la plupart–, se sont exprimées sur le sujet dans les médias, ont écrit des livres, réalisé des documentaires, témoigné publiquement à propos de leur parcours de PMA, la légitimité de leur parole est indiscutable, mais elles confirment à l’AJL qu’elles n’ont pas été contactées par des médias, tous supports confondus, depuis l’été  :

  • Marie Labory, présentatrice du JT d’Arte, maman de jumeaux nés d’une PMA ;
  • Amélie Mauresmo, ex numéro une mondiale de tennis, consultante TV ;
  • Corinne Bouchoux, historienne, ancienne sénatrice (EELV) ;
  • Négar Djavadi, écrivaine, autrice du roman « Désorientale », ayant notamment pour thème la PMA ;
  • Marinette Pichon, ancienne footballeuse professionnelle, consultante à France télévisions ;
  • Muriel Douru, illustratrice, autrice de plusieurs livres pour enfants sur l’homoparentalité ;
  • Mathilde Guermonprez, documentariste, autrice de « L’Autre mère » (Arte radio), qui rend compte de ses démarches en vue d’adopter son propre fils, porté par sa compagne ;
  • Élodie Font, journaliste, autrice de la série documentaire « Il était une fois la PMA » (Cheek magazine) ;
  • Amélie Georgin, mère toulousaine d’une fille née par PMA, adhérente des Enfants d’arc-en-ciel, contradictrice de Laurent Wauquiez dans « L’Émission politique » du 25 janvier 2018 sur la question de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes ;
  • Émilie Jouvet, réalisatrice d' »Aria », film documentaire sur son parcours de PMA ;
  • Amandine Gay, réalisatrice du film documentaire « Ouvrir la voix » ;
  • Florence Mary, réalisatrice de « Les Carpes remontent le courant avec courage et persévérance », film documentaire la PMA ;
  • Wendy Delorme, écrivaine, autrice du roman « Le Corps est une chimère », dont le personnage principal est une mère lesbienne et où il est question de PMA ;
  • Géraldine Sarratia, rédactrice en chef aux Inrockuptibles et présentatrice de « Dans le genre » sur Radio Nova ;
  • RAG, DJ, elle vient d’avoir un enfant – né d’une PMA – avec sa compagne ;
  • Marielle, Élisa et Pierrine, professionnelles de santé et créatrices de la chaîne YouTube « Viens voir le docteur » consacrée à la santé et à la prévention…

Parmi les femmes contactées par l’AJL, seules Laurence Vanceunebrock-Mialon, députée, Caroline Mécary, avocate, Martine Gross, sociologue de l’homoparentalité (EHESS), ont été sollicitées, toutes trois cette semaine. Contre combien d’évêques, de représentant·e·s de mouvements idéologiques conservateurs, et d’hommes de tous bords confondus ?

Sur la question de la PMA, l’AJL a par ailleurs publié, en janvier 2018, un guide pratique destinés à aider les journalistes. Nous conseillons plus que jamais sa lecture. Nous rappelons plus que jamais les journalistes à leurs responsabilités. Elles et ils ont le devoir d’informer. La procréation médicale assistée mérite un autre traitement médiatique, les citoyen·ne·s méritent d’être informé·e·s correctement, hors débat truqué ou binaire, et les premières concernées, membres, faut il le rappeler, d’une minorité discriminée, n’ont pas à subir le coût d’une paresse et d’une irresponsabilité généralisées des professionnel·le·s des médias.