Laurent Bonnat (La Provence) : « La couverture médiatique des questions trans’ reste trop sensationnelle »

Laurent Bonnat, 25 ans, est journaliste à La Provence à Marseille. A la veille de l’Existrans 2015, la 19ème marche des personnes trans’ et intersexes, cet ancien de l’Ecole de journalisme et communication de Marseille (EJCM), passé par Rue 89 et La Marseillaise a accepté de partager auprès de l’AJL son opinion sur le traitement médiatique de la transidentité en France ainsi que son vécu de garçon trans’ au sein d’une rédaction locale. « Je n’ai plus envie que les journalistes utilisent un vocabulaire qui ne corresponde pas à la personne qu’ils ont en face », témoigne notre jeune confrère. Interview.

AJL : Demain, pour la 19ème fois, les personnes trans’ et intersexes marcheront pour revendiquer leurs droits à Paris. Quels conseils donneriez vous aux journalistes pour bien couvrir l’événement ?

Laurent Bonnat : Un événement comme l’Existrans se traite de la même manière qu’un sujet classique. Il faut oser poser toutes les questions que l’on a à poser, et retranscrire de la façon la plus juste. Ce qui est parfois difficile à comprendre pour une personne non-trans. Je m’explique : les personnes trans’ ont parfois des difficultés à retranscrire ce qu’elles ressentent, elles utilisent des mots qui peuvent choquer ou emmener le « grand public » à dénigrer ou repousser la moindre information donnée. Pour moi, le plus important est de vulgariser ces propos, de faire le lien entre le ressenti mal exprimé et le lecteur/téléspectateur pour ramener le tout à un parcours de vie audible et compréhensible par tout le monde.

Pensez-vous qu’il y a eu des progrès réalisés dans la couverture des questions trans’ et de la transidentité en France ou que tout reste à faire ?

Le traitement médiatique de la question par des organes de presse spécialisés ou engagés (Yagg, Rue89, Arte pour ne pas les citer) est de mieux en mieux ficelé. En revanche, les médias plus traditionnels, qu’il s’agisse de la presse quotidienne régionale (PQR) ou des chaînes de télé les plus regardées, ont encore un long chemin à parcourir. Vulgariser le parcours d’une personne trans’ et propulser une personne trans’ au rang de citoyen lambda est ESSENTIEL. Je trouve vraiment dommage de traiter la question systématiquement dans des médias « faits pour ça », même si leur action est bien sûr indispensable. La presse quotidienne nationale (PQN) a fait des progrès dans le traitement de ces sujets-là, mais leur couverture médiatique reste trop sensationnelle. Pourquoi faire des dossiers de 15 pages ? Il suffit simplement de traiter le sujet en continu, de manière plus diffuse tout au long de l’année, plutôt que de mettre le paquet à un instant T avec des titres racoleurs. Justement, pour intégrer ces différences dans la société et les faire disparaître, il n’y a pas meilleure recette qu’un traitement léger et doux de la question.

Quels sont les types de remarques des journalistes, commentateurs, etc qui posent problèmes ? Cela concerne-t-il seulement la PQR ou également la PQN ? Quelles sont les questions que vous ne voudriez plus entendre ?

Je n’ai plus envie que les journalistes utilisent un vocabulaire qui ne corresponde pas à la personne qu’ils ont en face. Je suis trans’ FTM, soit né biologiquement fille et aujourd’hui homme. Je déteste que l’on utilise les mots « seins, règles, poitrine » ou pire pour le reste. Je n’ai pas envie de le lire, ça me pique les yeux [ndlr, il évoque ici une interview qu’il avait donné à L’Obs en février dernier]. D’autre part, si on s’adresse à quelqu’un comme moi, un homme donc, et que cette personne est en couple avec une nana, pourquoi lui demander si cette dernière est hétéro ? On ne demande pas à un homme si sa femme est hétéro, pourquoi le demanderait-on à un homme trans’ ? Même chose pour un trans’ FTM gay ou une trans’ MTF lesbienne, ces hommes et femmes peuvent être homosexuels sans avoir à subir la fameuse question : « mais pourquoi t’as changé alors ? ».

A La Provence, votre transidentité a-t-elle posé problème ? Quelle a été votre expérience au sein de la rédaction en tant que journaliste et garçon trans’? Les regards des confrères et consœurs ont-il changé ?

J’ai eu la chance d’arriver à La Provence à un moment avancé de mon parcours. Mon diplôme en poche, je n’avais plus à justifier quoi que ce soit, à part auprès du service du personnel où mon numéro de sécu posait encore problème. La plupart des collègues étaient au courant via un article écrit par un confrère de La Marseillaise, mais ils ne m’ont pas fait de retours particuliers. Je n’ai pas eu de question ou de regard mal placé, même si j’imagine (on ne peut pas plaire à tout le monde) que certains ont débrieffé entre eux, ou se sont confortés dans une certaine incompréhension. En tous cas, je n’ai pas vécu d’attaque frontale ou de réflexion en pleine figure. Ceux qui m’en ont parlé, eux,  étaient plutôt admiratifs mais nos échanges là-dessus ont été brefs. En fait, aujourd’hui, j’en parle très peu à la rédaction. Pas par crainte, mais simplement parce que personne n’en ressent le besoin ni l’utilité. Ni eux, ni moi. Je suis Laurent, et c’est tout.

En France, rares sont les personnes trans’ (du moins visibles) à accéder aux professions de presse et des médias. Comment l’expliquez-vous ?

Les contacts du milieu journalistique sont souvent tissés au fur et à mesure de nos études, et sont essentiels : chacun sait à quel point il est difficile de trouver une rédaction une fois diplômé via une candidature spontanée. Par conséquent, la période des études est souvent propice à la création des premiers liens avec le métier, les stages, les piges, etc. Mais cette période, malheureusement, correspond aussi à celle de la transition. Or, pour un métier qui se base sur l’image (pour l’audiovisuel en tous cas), la confiance en soi, l’aplomb et le contact humain, ce n’est pas forcément le bon moment. Pendant, une transition la société fait un peu peur (moins qu’avant, mais c’est pas encore ça) alors qu’on est justement dans une profession qui gravite au coeur de celle-ci. Par ailleurs, certains trans’ ont besoin de quitter leur foyer rapidement pour éviter les pressions familiales, ils se dirigent donc vers un boulot plus rapide à obtenir et sont obligés de négliger leurs études.

Quel message voudriez vous adresser aux jeunes trans’ qui souhaiteraient faire du journalisme ?

Je n’ai pas spécialement de message à adresser aux trans’ qui veulent faire du journalisme, pour moi ce sont des hommes et des femmes qui veulent faire du journalisme. Pour pouvoir accéder à cette profession avec ce parcours de vie, je n’aurai qu’un conseil : persévérer comme si le parcours n’existait pas. Aller vers les gens, ne pas se renfermer, parler, ne pas avoir honte de ses papiers ni de sa voix qui déraille un peu. De ce parcours, il faut en retirer la force et le courage d’aller au bout de ce qu’on est. Si on naît homme ou une femme, on fonce. Si on naît journaliste, on fonce.

Propos recueillis par Florian Bardou

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