Depuis 2013, l’AJL œuvre à un meilleur traitement médiatique des questions LGBTI. En tant que journalistes, il nous semble aujourd’hui utile d’aller plus loin en produisant des contenus afin de donner une plus grande visibilité à ces sujets.
Au-delà des questions LGBTI, l’AJL milite pour un meilleur traitement médiatique de toutes les minorités et des populations minorisées. Ces dernières semaines, nous avons constaté un traitement médiatique parfois raciste du coronavirus 2019, comme nous l’avons souligné dans notre newsletter de février. Pour éclairer ce phénomène, nous avons rencontré Linh-Lan Dao, journaliste à FranceInfo Télévision, et Française d’origine vietnamienne.
Comment le racisme anti-asiatique s’exprime-t-il en ce moment ?
Je vois sur les réseaux sociaux une multiplication de commentaires et de blagues racistes sous les vidéos qui traitent du coronavirus. Je vois aussi des témoignages de personnes qui se font virer des transports en commun, ou ma meilleure amie à qui on a crié dans la rue : « Sale Chinoise, t’as le virus. » J’ai fait un appel à témoins sur Facebook, un jeune homme m’a raconté s’être fait interpeller pendant qu’il faisait ses courses. Il choisissait des avocats et une femme lui a demandé : « Vous êtes de quelle nationalité ? » Il a répondu : « chinoise » et elle a dit : « Vous devez pas toucher les avocats, rentrez chez vous. »
Comment cela se traduit-il dans les médias ?
Il y a une surreprésentation du coronavirus dans l’actualité. J’ai vu la une du Spiegel qui m’a choquée : ça donne l’impression que les Chinois ont mis au point une arme biologique pour décimer le monde. On parle beaucoup de « virus chinois » alors qu’un virus n’a pas de nationalité, pour le virus H1N1, dont le foyer était américain, on n’a jamais parlé de « virus américain », ni titré « alerte blanche », « alerte américaine ». Et il y avait aussi des morts, 280 000, qu’on peut comparer aux plus de mille morts du covid19 ou aux 10 000 morts environ de la grippe saisonnière en France chaque année.
Comment le vis-tu ?
Ça fait quelques années que je lutte contre le racisme anti-asiatique, quand j’ai vu passer la une du Courrier Picard et le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus, je me suis dit : « Il est en train de se passer quelque chose. » Je savais très bien que le racisme anti-asiatique était latent mais ce qui m’étonne c’est que les gens passent à l’acte. Il y a vraiment une libération de la parole raciste.
Qu’est ce qui encourage ce déferlement de racisme ?
La peur d’un virus c’est quelque chose d’assez normal et commun. Mais la sinophobie s’y superpose. On a des clichés sur la Chine qui manquerait d’hygiène, qui ne saurait pas gérer sa population, où les gens mangeraient des bêtes sauvages… Le coronavirus 2019 sert de prétexte pour déverser sa haine. Historiquement, l’épidémie a toujours été l’occasion de désigner un bouc émissaire. La peste au moyen-âge était attribuée aux juifs, et en 2014 Ebola était un prétexte pour discriminer les personnes noires. Avoir des peurs irrationnelles c’est normal, ce que je trouve moins normal c’est de les transformer en agressivité envers les personnes.
Quelles sont les conséquences de ce racisme ?
Il y a des conséquences économiques, des commerces asiatiques désertés dont le chiffre d’affaires baisse. Quand on me dit « c’est juste des blagues sur les réseaux sociaux », je réponds que ces blagues ont un impact sur la vraie vie. Elles atterrissent dans les cours d’école, des enfants se font traiter d’étranger dans leur propre pays, où ils ont grandi, ils se font frapper à l’école. Nous, on est des adultes, quand tu me demandes comment je le vis, et bien ça va merci, j’ai les outils pour me battre, des outils intellectuels pour riposter. Mais les enfants dans les écoles, ils souffrent, comme j’ai souffert quand j’étais petite et je ne disais rien.
Comment les rédactions peuvent-elles s’améliorer ?
Il faudrait peut-être avoir une fois par an des ateliers de sensibilisation, comme la sensibilisation au sexisme, pour expliquer ce qui se fait ou pas. Pas pour faire la police mais pour prendre en compte les sensibilités de chacun. C’est comme quand on parle d’une femme battue et qu’on ne titre pas « elle a bien eu ce qu’elle méritait ». Il faut être responsable et mesurer ce qu’on fait.
Propos recueillis par Yasmina Cardoze
Pour aller plus loin
– « Ne me demandez plus si le racisme anti-asiatique existe vraiment », Grace Ly, Slate
– « Garde ton virus, sale Chinoise ! » : avec le coronavirus, le racisme antiasiatique se propage en France », Valentin Cebron et Pauline Petit, Le Monde
– En finir avec les idées reçues sur le covid19, OMS
– « Le racisme anti-chinois », Guillaume Meurice, France Inter