Chapitre publié le 17 mai 2021
Où est le problème ?
La présence médiatique des personnes racisées est rare, et leur représentation souvent empreinte de stéréotypes racistes et orientalistes. Qu’elles soient étrangères ou françaises, les personnes racisées LGBTI n’échappent pas à ce biais de représentation. Leur invisibilisation n’en est que plus forte. Les médias ont tendance à aborder ces questions sous un prisme uniquement misérabiliste. S’il s’agit bien sûr de dénoncer les mauvais traitements dont sont victimes les communautés LGBTI à travers le monde, il convient d’aborder la multiplicité des paramètres de l’identité, et donc la multiplicité des discriminations potentielles.
Le problème vient souvent de l’accès limité à des sources et expert·e·s sur le terrain lorsqu’il s’agit de sujets internationaux, ou de la communauté concernée dans un cas français. Des journalistes, plutôt que se rapprocher d’acteur·rice·s de terrain et de la réalité locale, s’appuient sur des idées reçues pour publier des informations incomplètes ou caricaturales. Ces dernières, parfois fondées sur des réalités, sont souvent très éloignées du quotidien des personnes dont ils ou elles parlent.
Ces fausses représentations rendent invisibles, déshumanisent et nient les multiples facettes de l’identité des personnes dont les journalistes prétendent parler. Les personnes LGBTI non-blanches méritent mieux que ces raccourcis.
Choisir les bons mots !
Lutter contre l’invisibilisation des personnes non-blanches
Les personnes LGBTI ne sont pas toutes blanches, et l’identité d’une personne ne se résume pas à un unique paramètre. L’appartenance à un groupe minorisé n’est pas exclusive : on peut être une personne noire et trans, arabe et gay, asiatique et lesbienne.
Ces identités multiples sont aussi absentes des représentations médiatiques en raison de stéréotypes racistes : par exemple, les personnes asiatiques dans leur ensemble sont invisibilisées en raison d’une supposée discrétion ou de comportement « modèle » en tant que minorité. Leur absence des représentations LGBTI n’en est que plus forte.
Homosexuel·le·s des villes, homophobes des banlieues*
« Être gay en cité, c’est un drame », titrait L’Express en avril 2018. Les banlieues font l’objet de beaucoup de fantasmes. L’homophobie y existe et, au même titre que dans les centres-villes, elle doit être documentée. Cependant, ces sujets sont souvent chargés de biais racistes.
Les identités LGBTI des banlieues sont régulièrement opposées à celles des centres-villes, supposées plus libres, aux familles plus tolérantes, moins exposées à la violence. Soit les banlieues sont dépeintes comme LGBTIphobes sans évoquer les personnes LGBTI qui y vivent, soit ces dernières (quasi-exclusivement des hommes gays, on le notera) sont décrites comme victimes d’une atmosphère conservatrice, voulant fuir vers les centres. Ces sujets sous-entendent souvent que l’islam en serait la principale cause. Or, on peut être racisé·e et athée, croyant·e et LGBTI-friendly, et parmi toutes les religions pratiquées en France, l’islam n’a pas l’apanage de l’homophobie.
Sans nier l’existence de telles histoires, celles-ci ne devraient pas être quasiment les seules à être couvertes par les rédactions. C’est un biais qui contribue à l’idée, fausse, selon laquelle la seule façon de vivre son identité LGBTI serait de fuir la banlieue et sa culture ou sa religion.
Les personnes LGBTI existent dans tous les pays
Il n’est pas rare de lire qu’il serait forcément impossible de vivre dans tel ou tel pays lorsqu’on est LGBTI. S’il est indéniable qu’un pays dont le gouvernement criminalise les identités LGBTI n’est pas un pays friendly, les nuances passent trop souvent à la trappe, au dépens des réalités particulières. Des personnes LGBTI vivent aussi dans ces pays, y militent au quotidien, souvent dans l’ombre, pour dénoncer les abus perpétrés et prouver qu’ils et elles existent. Ce sont des témoignages forts et des histoires qui méritent d’être racontées.
L’Iran ou l’Inde en offrent des exemples criants. Quand les journalistes parlent de la situation des personnes homosexuelles, ils et elles résument cela aux lois qui criminalisent l’homosexualité ou, dans le cas de l’Inde, à la récente décriminalisation en 2018. Un raccourci qui n’est pas emprunté lorsque l’on évoque les pays occidentaux. Saviez-vous que, même si la loi n’était presque plus appliquée, la sodomie demeurait illégale au Canada au niveau fédéral jusqu’en 2016 ? Il ne suffit donc pas de citer les lois ou des chiffres pour décrire la situation des personnes LGBTI dans un pays. Les réalités de l’homophobie, en France, en Iran, au Canada ou ailleurs varient, et ne dépendent pas uniquement du contexte juridique.
Par ailleurs, dans le cas indien, la surexposition du maharadja Manvendra Singh Gohil, activiste LGBTI, relève de l’exotisation et participe d’une vision orientaliste qui exclut aussi nombre d’activistes de terrain, qui, pour leur part, n’ont pas de titre de noblesse.
La tradition a bon dos
Parmi les pays qui criminalisent l’homosexualité, nombreux sont ceux dont les lois datent de l’époque coloniale. Pour la moitié d’entre elles, ces lois sont héritées des codes coloniaux britanniques. L’utilisation du mot « tradition » doit donc se faire avec la plus grande prudence : quelle tradition ? Coloniale ? Ancestrale ? Le mot est souvent vague et fait appel à des visions stéréotypées et uniformes de ce que la tradition devrait être. Cherchons la nuance, trouvons d’autres angles plus proches de l’histoire et de la situation actuelle dans chaque pays.
Identifier une récupération homonationaliste
Une couverture stéréotypée des réalités LGBTI peut alimenter une opposition entre un Occident soi-disant moderne, éclairé, tolérant et gayfriendly, et d’autres pays dont la culture est présentée comme archaïque et rétrograde sur le plan des droits des femmes et des personnes LGBTI. Cette opposition est le moteur d’une idéologie, l’homonationalisme, dans laquelle les droits LGBTI sont récupérés pour nourrir une politique nationaliste au sous-texte raciste : les homophobes seraient des personnes racisées et/ou étrangères, pas des Français·e·s blanc·he·s. En France, les déclarations gayfriendly de certains partis politiques sont, en fait, une instrumentalisation. Pour l’éviter, ne tombons pas dans les généralités et éloignons-nous des stéréotypes.
*Cette formule est empruntée au sociologue Eric Fassin, qui a titré ainsi une note publiée en 2010 sur son blog.