Ce chapitre du kit « Informer sans discriminer » initialement publié en juin 2014, a été mis à jour et augmenté le 17 octobre 2019.
Où est le problème ?
Si les sujets concernant les gays, les lesbiennes et les bisexuel.les sont parfois truffés de clichés ou d’approximations, que dire de ceux concernant les personnes trans ! Ces questions sont souvent confondues avec l’homosexualité et leur traitement journalistique se limite généralement au sensationnalisme (“Quand Gaston devient Marguerite” avec les inévitables photos avant/après à l’appui). Ces dernières années, les personnes trans ont obtenu une meilleure visibilité. Malheureusement, elle s’est souvent faite au prix d’une mauvaise maîtrise des termes, entre autres problèmes.
En plus d’être potentiellement blessant pour les personnes trans, le traitement journalistique contribue souvent à invisibiliser les vraies difficultés : précarité, fort taux de prévalence au VIH, psychiatrisation, “parcours du ou de la combattant.e” pour entamer une transition dans les hôpitaux publics, difficulté à obtenir des papiers en adéquation avec son genre vécu… Sans compter que les personnes trans sont aussi les victimes régulières de graves agressions sans qu’aucun média ne s’émeuve vraiment de la fréquence et de la barbarie de ces violences. L’assassinat de Vanesa Campos, en août 2018, est l’arbre qui cache la forêt et a surtout occasionné des traitements problématiques voire indignes (utilisation du masculin et de son ancien prénom, fétichisation, publication de photos du cadavre…). Quant à l’agression de Julia Boyer, en mars 2019 sur la place de la République, à Paris, elle ne représente pour l’instant qu’un cas isolé de traitement respectueux.
Choisir les bons mots !
Utiliser le bon prénom et les bons pronoms
D’abord, respectons le genre dans lequel la personne interviewée ou la personne dont on parle se définit. On parle de « genre vécu », ce qui signifie, entre autres, de nommer la personne ou de s’adresser à elle avec le pronom adéquat. Sur le terrain, demander à la personne que l’on a en face de soi de dire comment elle souhaite être présentée ou « genrée » permet d’éviter bien des problèmes. Sauf mention contraire de la personne, on utilisera “il/un” dans le cas d’un homme trans ; “elle/une” pour une femme trans. Certaines personnes trans se définissent également comme non binaires. Évidemment, on évite de l’interroger d’emblée sur une éventuelle “opération” et on ne dévoile pas non plus son prénom de naissance si elle n’aborde pas le sujet elle-même.
Il convient ainsi d’utiliser le prénom choisi par la personne : recourir à l’ancien prénom (“utiliser le dead name” ou “morinommer”) n’apporte aucune information mais verse dans le sensationnalisme de l’avant/après. Par ailleurs, l’état civil n’est, en France, bien souvent modifié que des mois voire des années après que les personnes trans ont socialement changé de prénom. Inutile donc de l’invoquer comme justification pour utiliser l’ancien.
Dans le cas d’une personne publique qui annoncerait sa transition, la remise en contexte nécessite parfois d’utiliser cet ancien prénom : quoi qu’il en soit, il est important de l’utiliser au minimum et de manière tout à fait secondaire. Le Monde a trouvé un bon compromis dans son article relatant le coming out de la championne olympique Sandra Forgues : l’ancien prénom figure dans le chapô et l’attaque du papier, exclusivement. Il n’est pas mentionné dans le titre ni dans le reste de l’article.
Même pour parler du passé, on utilisera le prénom actuel de la personne. Par exemple : « Sandra Forgues avait remporté la médaille d’or en canoë biplace avec Franck Adisson. » L’utilisation, dans le cas présent, d’un “masculin passé” entretiendrait une confusion inutile.
« Transition de genre »
Tout un tas d’expressions toutes faites polluent les productions journalistiques qui ont pour sujet des personnes trans. L’une des plus récurrentes est de parler de personnes “nées dans le mauvais corps ». Au même titre que chaque personne trans est différente, chaque manière de vivre sa transition l’est. Être trans ne signifie pas nécessairement se sentir prisonnier.ère de son corps ou vivre dans la haine de celui-ci !
Les personnes trans ne “changent pas de sexe”, pas plus qu’elles ne « deviennent » un homme ou une femme : elles mettent leur corps en adéquation avec ce qu’elles sont. Les termes “transformation” ou “se transformer”, qui ne font qu’ajouter au sensationnalisme, sont à éviter.
D’ailleurs, toutes les personnes ne souhaitent pas subir d’opérations. Certaines choisissent de prendre des hormones, d’autres n’en prennent pas. Utilisons donc “transition de genre”, “changement de genre” ou “confirmation de genre”. Le verbe “transitionner” peut aussi être utilisé, il l’est largement par les personnes trans elles-même.
Les personnes trans ne se déguisent pas
Attention, le terme “travesti.e” n’est pas synonyme de “trans”. Se travestir, c’est adopter temporairement les codes vestimentaires et sociaux d’un autre genre. C’est ce que font les drag queens ou les drag kings, par exemple. Le cas des personnes trans est très différent : une femme trans est une femme qui a été assignée garçon à la naissance, un homme trans est un homme qui a été assigné femme à la naissance.
Orientation sexuelle ≠ identité de genre
Comme expliqué plus haut, le genre (être un homme ou une femme, par exemple) et l’orientation sexuelle sont deux choses différentes. Les personnes trans peuvent être hétéros, bi.e.s, lesbiennes, gays. Quand la championne olympique Sandra Forgues a fait son coming out de femme trans, en mars 2018, elle a régulièrement été interrogée sur le fait qu’elle était jusque-là mariée à une femme, avec qui elle avait eu des enfants. L’athlète a alors rappelé que toutes les orientations sexuelles existent chez les personnes trans. Par ailleurs, si l’AJL recommande aux journalistes de ne pas avoir de tabou et d’interroger directement les personnes sur leur orientation sexuelle, le faire uniquement lorsqu’il s’agit de personnes trans peut suggérer un doute sur la sincérité de leur coming out.
Éviter les descriptions binaires et stéréotypées
Une transition n’est pas une opération de chirurgie esthétique. Ce qui compte ce n’est pas l’apparence plus ou moins féminine/masculine d’une personne mais bien ce qu’elle vous dit et ce qu’elle vit. Une femme trans n’est pas obligée d’adopter une apparence jugée « féminine » (jupe, maquillage, etc.) pour être considérée comme une femme. D’ailleurs, une “vraie femme” ou un “vrai homme”, ça n’existe pas (et entre nous, ces expressions sont vraiment sexistes). Les expressions du type “on ne croirait pas qu’il ou elle est trans” ou, à l’inverse, “on voit bien que c’est un·e trans” sont à bannir. Elles reposent sur une vision très stéréotypée du genre, sous-entendant que les personnes trans sont forcément visibles comme telles.
Sur le sujet des opérations et des traitements hormonaux, bannir aussi les expressions du type “finir sa transition” ou “aller jusqu’au bout”, qui laissent penser qu’une personne trans n’ayant subi aucune opération ou ne prenant pas d’hormones n’est pas “complètement” trans.
La question du travail du sexe
Le travail du sexe, par choix ou nécessité, est plus fréquent chez les personnes touchées par la précarité. Chez les personnes trans, cette précarité est due à la difficulté rencontrée pour changer d’état civil et, plus globalement, à une société transphobe. Cela leur ferme la porte de nombreux milieux professionnels, les empêche de trouver un logement ou de se soigner correctement, par exemple. Attention aux amalgames, le travail du sexe n’est pas une activité inhérente au fait d’être trans.
Ne pas fétichiser les parcours
Depuis quelques années, il arrive que, dans certaines émissions, des chercheur·se·s en sciences sociales et autres spécialistes s’extasient devant la détermination des personnes trans à braver les normes de genre. Les personnes trans ne cherchent pas forcément toutes à “troubler le genre”, ou à démontrer à quel point tout cela est subversif au sens théorique du terme, elles cherchent à vivre leur vie le mieux possible, comme tout le monde. Les personnes concernées seront les mieux à même de qualifier leur situation.
Priorité aux témoignages des personnes concernées
Parmi les nombreux articles et reportages publiés ces dernières années, on en trouve de nombreux dont le focus est sur les parents, la famille, les entourages. Des articles et des reportages où le pathos est souvent au premier plan… et, c’est un paradoxe, les personnes transgenres au second. Il convient d’éviter de rendre les témoignages des entourages prépondérants dans des sujets sur les personnes trans. Ces dernières ont déjà suffisamment peu la parole dans l’espace médiatique. Cela doit globalement être un leitmotiv : priorité aux témoignages des personnes concernées. Les personnes trans sont les premières expertes : préférons leurs savoirs et leurs paroles, plutôt que celles de leur entourage, de psychiatres ou de médecins.
Utiliser le bon vocabulaire
— Identité sexuelle ou identité de genre?
Depuis peu, la loi reconnaît et proscrit les discriminations fondées sur “l’identité de genre”. Jusque-là, seule “l’identité sexuelle” était reconnue. Mais l’expression rendait facile la confusion avec des questions de sexualité. Or, le sujet est bien le genre, pas le sexe.
— Transsexualisme ou transidentité ?
En français, le terme “transsexualisme” est, à l’origine, celui utilisé par le corps médical. Il sous-entend que les personnes trans sont atteintes d’un trouble psychiatrique appelé “dysphorie de genre”, donc d’une pathologie. Le terme “transidentité” semble recevoir l’assentiment d’une majorité d’associations. Notons néanmoins que ce dernier terme est contesté par certain·e·s, qui considèrent que parler d’identité pour parler des personnes trans est une manière d’euphémiser, voire de nier leur vécu.
— Transsexuel.le.s, transgenres ou trans ?
On préférera dire “une personne transgenre”, “une personne trans” plutôt que “un.e trans” ou “un.e transgenre”. Le terme « transsexuel.le » est, sauf utilisation par une personne concernée, à bannir du discours journalistique. Il est rejeté par beaucoup de personnes trans pour sa connotation médicale, et à ce titre pathologisante. Le contexte d’utilisation de ces termes compte aussi. En 2018, l’apparence de l’astrophysicien Aurélien Barrau a été qualifiée de “transgenre” dans L’Obs (il a les cheveux longs, il porte des bagues…). Une utilisation du terme complètement à côté de la plaque.
— Transphobie, transphobe
La transphobie existe, elle mérite d’être nommée ! Elle est même bien présente dans la société, les institutions… La définition de Wikipedia est la suivante : “La transphobie est une hostilité envers les personnes transgenres qui peut se manifester sous forme de violences physiques (agressions, crime de haine, viols ou meurtres) ou verbales, ainsi que de comportements discriminatoires (discrimination à l’embauche, au logement, ou encore dans l’accès aux traitements médicaux).” L’adjectif “transphobe” existe également et peut être utilisé pour désigner tout comportement, propos ou personne discriminante à l’égard d’une personne trans.
Les angles
Au-delà des questions lexicales et de respect des personnes interviewées, il convient d’essayer de ne pas invisibiliser les problématiques socio-économiques des personnes trans. Se concentrer sur le processus de transition et seulement sur cet aspect, que d’aucuns considèrent comme “fascinant”, pousse souvent au sensationnalisme. Les vies, les parcours des personnes trans dépassent de loin cette “partie visible de l’iceberg”. C’est un enjeu journalistique que de mettre en lumière la précarité des personnes trans : dans le travail, dans l’espace public, pour se soigner, pour trouver un logement etc. Fin 2017, l’émission Zone interdite, sur M6, a consacré un long documentaire à plusieurs femmes et hommes trans. Le documentaire se voulait “novateur et progressiste” alors qu’il ne faisait, une nouvelle fois, que mettre le focus sur les transitions et les ressentis. À l’époque, l’AJL avait interrogé la réalisatrice du reportage Clarisse Verrier et la sociologue Karine Espineira.
L’affaire Chelsea Manning et le bon comportement des médias américains
Quand Chelsea Manning, soldate américaine à l’origine des révélations Wikileaks, demande, en août 2013, qu’on cesse de l’appeler Bradley, certains médias contournent la question en désignant Chelsea uniquement par son nom de famille “Manning”, sans utiliser les pronoms “il” ou “elle”.
Mais la plupart des grands médias américains finissent par respecter son souhait. L’agence Associated Press adopte ainsi la ligne édictée dans son « stylebook », qui recommande d’utiliser “le pronom préféré par les individus qui ont acquis les caractéristiques physiques du sexe opposé ou se présentent d’une façon qui ne correspond pas à leur sexe de naissance”. La radio de référence NPR aussi. Le guide de rédaction du New York Times contient également un article “transgenre”, que le quotidien applique scrupuleusement : “À moins qu’un ancien nom soit pertinent ou ait valeur d’information, utilisez le nom et les pronoms (il, elle) préférés par la personne transgenre”. Les médias qui respectent le féminin signalent généralement la transition de Chelsea, par exemple : “Elle était auparavant connue sous le nom de Bradley Manning mais a depuis changé son nom et déclaré son désir de vivre en tant que femme” (NBC News), une formule destinée à orienter les lecteurs, habitués à suivre l’affaire “Bradley Manning”.
Plus proche de nous, l’AJL avait déjà analysé le traitement médiatique du coming out de la championne olympique Sandra Forgues, en mars 2018.
Merci pour ce texte clair et precis
Qu’il soit donc diffuser largement et lu d un majorite de personnes.
Bonjour. Les personnes de genre non-binaire et queer ne sont pas toujours les mêmes. Les premières peuvent se définir comme agenres, de genre fluide, gender-blender, ou d’autres dénominations qui reflètent au mieux leur identité de genre et les relations que cette identité entretient avec « les deux » genres ; certaines de ces personnes aspirent à la banalité, on ne peut donc pas les qualifier de queer. Les secondes peuvent avoir une identité de genre tout à fait binaire ; être queer n’est pas être différent’ sur le plan du genre ou de l’orientation sexuelle (même si cette acceptation est assez courante au Québec), mais revendiquer comme positive une identité en marge, que ce soit sur le plan du genre, de l’orientation sexuelle (qui n’est en réalité qu’un élément de genre ; l’homosexualité étant une -forte- trangression de genre parmi d’autres) ou encore de pratiques sexuelles kink telles que le bdsm, le fait d’être travailleur’ du sexe, etc.