Lea Forestier, avocate spécialiste du droit de la presse.
Dans quels cas l’homophobie peut-elle être condamnée par les tribunaux ?
La loi sur la liberté de presse de 1881 a été enrichie en 2004 de sanctions pénales contre les personnes provoquant à la haine, à la violence, à la discrimination à l’égard d’une personne, ou d’un groupe de personnes, en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Les sanctions peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. L’hebdomadaire Minute a été condamné en mai 2014 à 4000 € d’amende et 3000 € de dommages et intérêts pour une couverture jugée homophobe par le tribunal correctionnel de Paris. En cause : son caractère «réducteur, clairement méprisant et outrageant».
Pour autant, il demeure très délicat de tracer une ligne claire entre les propos susceptibles d’être condamnés pour homophobie et ceux ne dépassant pas les limites de la liberté d’opinion et d’expression. Ainsi, Christian Vanneste a été condamné en première instance puis en appel pour injures homophobes en raison de propos dans lesquels il jugeait l’homosexualité « inférieure moralement » et « dangereuse pour l’humanité », avant que la Cour de cassation ne considère ces propos comme licites, quand bien même ils auraient pu « heurter la sensibilité de certaines personnes homosexuelles », les infractions prévues par la loi de 2004 devant, selon elle, être entendues de façon restrictive afin de ne pas porter une atteinte trop importante à la liberté d’opinion.
En tant que journaliste, puis-je écrire dans un article ou dire dans un sujet que telle personnalité (ou ses propos) sont «homophobe(s)»?
Ce genre d’affirmation peut tomber sous le coup de la diffamation. Mais tout dépend du contexte. En février 2014, le sénateur PS Jean-Pierre Michel, poursuivi pour diffamation par « La Manif pour tous » après avoir affirmé que ce mouvement faisait preuve de « déni d’homophobie » n’a pas été condamné par la cour d’appel de Paris, car le tribunal a estimé qu’il s’agissait plutôt d’une injure.
La 17e chambre du tribunal de Paris, chargée des affaires de presse, a ainsi jugé le 10 février 2012 que le sénateur écologiste Jean-Vincent Placé avait le droit d’évoquer les «propos homophobes» de l’ancien député UMP Christian Vanneste, car celui-ci est connu pour plusieurs déclarations dénigrant l’homosexualité. «Jean-Vincent Placé disposait ainsi d’une base factuelle suffisante pour s’exprimer comme il l’a fait», a jugé le tribunal. Il a en revanche été condamné pour avoir affirmé dans la même phrase que Christian Vanneste tenait des «propos racistes», faute de base factuelle.
Qualifier dans un article ou un sujet une personne (ou ses propos) d’« homophobe » est donc possible, mais à condition, soit de disposer d’une base factuelle suffisante permettant d’étayer son propos, soit de satisfaire aux quatre critères de la bonne foi : l’absence d’animosité personnelle, la légitimité du but poursuivi, la qualité de l’enquête, la mesure et la prudence des propos tenus. A vous, journalistes, de mesurer les risques avec votre directeur de la publication. Dans tous les cas, il est toujours possible d’écrire, par exemple, qu’un propos «peut être ressenti comme homophobe». Le risque d’être poursuivi dans ce cas-là est faible.
Si aucun journaliste n’a semble-t-il été, à ce jour, condamné pour diffamation pour avoir estimé que telle personnalité, ou ses propos, étaient homophobes, le rédacteur en chef de la Voix du Midi fait actuellement l’objet de poursuites pour complicité de diffamation contre le FN pour avoir rapporté les propos de deux ex-militants dénonçant notamment l’homophobie au sein du parti.
Un-e journaliste risque-t-il quelque chose à révéler qu’une personne est lesbienne, gay, bi-e ou trans?
D’abord, il faut distinguer deux notions souvent confondues: le «coming-out» et l’«outing». Le «coming-out» est le fait de révéler volontairement son homosexualité ou sa transition de genre. Le journaliste peut l’encourager, en posant la question à la personne qu’il interviewe. Libre à celle-ci de le dire, ou pas.
L’«outing» est le fait de révéler publiquement l’homosexualité ou la transition d’une personne contre sa volonté. Il peut constituer une atteinte à la vie privée, très protégée en droit français. En cas de poursuites pour atteinte à la vie privée, le juge cherchera à répondre à deux questions : l’atteinte à la vie privée est-elle constituée? Et si oui, cette atteinte est-elle justifiée par un débat d’intérêt général et le droit à l’information du public? Plus une personne est présente, visible ou influente dans la vie publique, plus la sphère de sa vie privée se réduit. Jean-Luc Romero a obtenu en 2004 la condamnation d’un magazine qui l’avait «outé», pour atteinte à la vie privée. Depuis, peu de journalistes s’y risquent. Pourtant, en 2005, la justice a débouté Marc-Olivier Fogiel et Stéphane Bern de leurs plaintes contre l’Expansion car les juges ont considéré que les deux personnalités avaient déjà donné des indications sur leur orientation sexuelle dans la presse et que la divulgation publique ne constituait pas dans ces conditions une atteinte à la vie privée.
En décembre 2013, la cour d’appel de Paris a jugé légitime l’évocation dans un livre de l’homosexualité du secrétaire général du Front national Steeve Briois, un proche de Marine Le Pen, au motif qu’il s’agit d’une «personnalité politique de premier plan» et que cette information «est de nature à apporter une contribution à un débat d’intérêt général». L’homosexualité de Steeve Briois avait en effet été évoquée qu’en ce qu’elle a pu avoir un impact dans l’infléchissement de la ligne idéologique du FN sur la question homosexuelle. En revanche, les juges ont estimé que révéler l’identité de son compagnon n’était pas d’intérêt public en raison du caractère moins public de son implication dans la vie politique, ce qui est à mon sens très contestable.
Journaliste, je relaie un «outing». Quels sont les risques encourus?
Le fait pour un-e journaliste de relayer un «outing» révélé par la presse ou tout autre média l’expose théoriquement à des poursuites pour violation de la vie privée au même titre que l’auteur de l’«outing» en question. Pour autant en pratique, l’information devient, suite à sa première divulgation, un sujet d’actualité susceptible de faire l’objet de commentaires dans les médias. Ainsi, le droit ne sanctionne que la révélation au public d’un élément de la vie privée, non sa stricte reprise après divulgation.
L’on pourrait se questionner toutefois sur les raisons qui font qu’encore aujourd’hui l’homosexualité, qui n’indique pourtant rien d’autre que l’orientation sexuelle, demeure un élément de la vie privée alors que l’hétérosexualité n’a jamais fait débat judiciairement. Finalement ce n’est que parce que notre société est encore homophobe que l’évocation de l’homosexualité peut porter préjudice.