Ce chapitre du kit « Informer sans discriminer », initialement publié en juin 2014, a été mis à jour le 26 avril 2024.
Où est le problème?
Femmes et homosexuelles, les lesbiennes subissent une double invisibilisation médiatique. Comme toutes les femmes, leur temps de parole demeure largement inférieur à celui des hommes – ainsi que leur accès à des fonctions politiques de premier plan, à des récompenses dans le monde de la culture, à des responsabilités dans les grandes entreprises, etc. Documenté, ce phénomène est renforcé pour les lesbiennes par plusieurs mécanismes : une injonction à rester au placard par exemple dans la culture, la politique ou le sport, de peur de pâtir d’homophobie ou de voir ses perspectives professionnelles réduites ; la gêne des rédactions à évoquer l’orientation sexuelle d’une personne, même quand elle est publique et qu’il s’agit d’une information pertinente ; l’incapacité de nombreux·ses journalistes à envisager l’importance de donner la parole à des lesbiennes afin d’évoquer des sujets qui les concernent, comme on a pu l’observer lors des débats sur le mariage pour tous puis sur l’extension de la PMA aux couples de femmes ou au moment d’évoquer la lesbophobie dans le cinéma. Cette invisibilisation se trouve renforcée en ce qui concerne les lesbiennes racisées, handies et/ou trans, ainsi que pour toutes celles qui cumulent des discriminations.
Et lorsque les lesbiennes sont visibles, c’est encore souvent via des stéréotypes, des angles réduits à leur sexualité et/ou dans des sujets sensationnalistes ou voyeuristes. Cela a aussi comme effet de produire des contenus de moins bonne qualité en passant à côté d’une diversité de sujets, d’angles et d’informations pourtant représentatifs d’une partie de la population.
Enfin, il ne s’agit pas seulement de donner la parole aux lesbiennes qui témoignent de leurs vies en tant que telles, mais de faire appel à leurs connaissances concernant des sujets qui ne sont pas toujours liés à cette identité : qu’elles soient chercheuses, femmes politiques, sportives, artistes… leurs points de vue sont tout aussi importants et riches que ceux des personnes hétérosexuelles.
Choisir les bons mots
« Lesbienne » n’est pas un gros mot
Le terme « lesbienne » n’est ni vulgaire, ni une insulte. Malgré cela, les articles lui préfèrent souvent des périphrases comme « femme qui aime les femmes », « militante des droits LGBT » ou « en couple avec une femme ». Les lesbiennes disparaissent ainsi des colonnes et la rareté du terme implique, de façon insidieuse, qu’il n’est pas assez respectable ou qu’il demeure honteux.
Si on peut rappeler les origines poétiques de ce terme (dérivé du toponyme de l’île Lesbos, terre de la poétesse Sappho, première à évoquer les amours féminines), rappelons surtout l’importance de sa répétition. Car les algorithmes peinent tout autant à laisser exister les lesbiennes. Utiliser le terme tant dans le corps des articles que dans le SEO des vidéos, photos et légendes améliore le référencement du mot et la pertinence des résultats dans les moteurs de recherche.
Pour finir, cette pudeur mal placée sur la qualification de « lesbienne » se traduit aussi par une méconnaissance du matrimoine lesbien. Ne pas qualifier des personnes publiques et/ou historiques de lesbiennes lorsqu’elles le sont, c’est invisibiliser leur participation et/ou leur engagement dans la production de contenus politiques, culturels ou artistiques.
Nommer la lesbophobie
De la même manière, le terme de « lesbophobie » ne doit pas être évité : il décrit une réalité sociale qu’un·e journaliste est tenu·e de documenter. Qualifier les discriminations ou les crimes lesbophobes par des termes trop larges ou imprécis – « homophobe », « LGBTIphobe », « haine anti-lgbt »… – peut occulter les spécificités de ces violences.
Enfin, comme le mot « pédé », « gouine » ou « goudou » sont parfois utilisés par des membres de la communauté LGBTQIA+ à des fins de réappropriation, de revendication, d’humour ou même de reconstruction – on parle alors de retournement de stigmate. Mais dans la bouche des autres, ces mots demeurent des insultes et doivent être traités comme tels par les journalistes.
Des « camionneuses », des « femmes masculines » ?
Les lesbiennes se trouvent trop souvent présentées de manière stéréotypée (vêtements, coupe de cheveux, attitude), via un regard hétérocentré et binaire, qui présuppose qu’elles ont toutes une expression de genre « masculine ». Ce travers est flagrant dans les choix iconographiques illustrant ces sujets, ou dans l’idée qu’une relation lesbienne implique toujours une personne « masculine » et une autre plus « féminine » au sein d’une relation qui calquerait les codes d’une relation hétérosexuelle.
Si ces réalités peuvent exister, les vécus lesbiens sont multiples et une bonne approche journalistique de ces sujets ne devrait pas faire l’impasse sur la grande diversité que recouvre le terme. Donner la parole aux premières concernées et faire travailler des journalistes et photographes LGBTQIA+ permettent d’éviter cet écueil.
Toutes les lesbiennes ne sont pas cisgenres
Les représentations des lesbiennes dans les médias sont aujourd’hui presque exclusivement cisgenres et passent à côté de l’existence des nombreuses lesbiennes trans et/ou non binaires. Avoir en tête cette réalité aiderait pourtant à tordre le cou à l’idée fausse – mais tenace et entretenue par les transphobes – que les lesbiennes seraient hostiles aux droits des personnes trans.
Pour aller plus loin
- Le podcast de Clémence Allezard « Sortir les lesbiennes du placard », sur France Culture.
- Le chapitre « Les confusions entretenues autour de la PMA » de notre kit.