PARIS, 22 janvier 2020 – Alors que les débats autour de la “loi bioéthique” ont débuté hier mardi 21 janvier au Sénat, l’AJL attire l’attention des journalistes sur la rigueur nécessaire dans leur traitement médiatique de l’accès à la PMA pour tou·te·s. L’association publie ainsi une étude autour du traitement médiatique de la PMA : trois semaines de matinales radio aux heures de grande écoute passées au crible.
Du 23 septembre au 15 octobre, l’Assemblée nationale étudiait le projet de loi bioéthique, qui comprenait un volet sur la PMA, celle-ci devant être ouverte notamment aux lesbiennes et femmes célibataires. Durant cette période, l’AJL, qui œuvre pour un meilleur traitement des thématiques LGBT au sein des médias français, a assuré une veille sur les matinales des 5 radios françaises nationales généralistes : France Inter, France Info, RMC, RTL, Europe 1, en semaine et le week-end. (Résultats détaillés de l’étude à la fin de ce communiqué)
L’AJL salue l’évolution du traitement médiatique des droits LGBT par rapport à 2013, lors de l’ouverture du mariage à toustes. Nous n’avons pas assisté à un déploiement de paroles de haine décomplexée. Faut-il se réjouir pour autant de la teneur des débats médiatiques? Pas tout à fait.
Polarisation du débat
Non seulement les interviews de personnes concernées restent rares mais, plus inquiétant encore, un nombre non négligeable de journalistes s’est illustré par sa recherche assidue d’une polarisation du débat. C’est notamment le cas de Matthieu Belliard, le 7 octobre sur Europe 1, dans l’interview de 6h40 où était invitée Blanche Streb, porte-parole du collectif Marchons Enfants. Il y est question d’eugénisme, de GPA et de “marché de la procréation”, sans aucune contradiction de la part du journaliste. L’AJL regrette cette obsession pour le débat binaire, du “pour ou contre”, qui enferme et empêche d’expliquer, d’analyser, de questionner le texte de loi et ses impensés.
Parler de “sujet sensible” ou “hautement inflammable” c’est déjà biaiser la réception de l’information. La couverture médiatique devient ainsi presque performative : on fabrique une polémique là où les signaux autour de la “sensibilité” du sujet sont plus que faibles (plusieurs sondages ont démontré que les Français·e·s étaient largement favorables à l’aide médicale à la procréation pour les couples de lesbiennes et les femmes célibataires), on sacrifie au passage un traitement rigoureux. Ni vérification ni explication
Ni vérification ni explications
En effet, le risque de désinformer, ou au moins de “mésinformer”, n’est pas loin : peu de prises de paroles sont remises en question par les intervieweurs, peu d’affirmations sont vérifiées. Il n’est rarement – voire jamais – expliqué en quoi consiste l’aide médicale à la procréation ni quelles sont les conditions pour y accéder. De nombreux angles ont été négligés au profit de l’épouvantail de la Manif pour tous et/ou de l’opposition partisane : l’exclusion des personnes trans, des personnes grosses, des personnes racisées, mais aussi la possibilité d’une démédicalisation d’une partie du processus tel que proposé par le Planning familial, la remise en question du monopole des CECOS, l’efficacité des campagnes de dons gouvernementales, ou encore les origines du droit de la famille -hétérosexuelle- en France. Les sujets ne manquent pas, et intéressent “le plus grand nombre”, l’AJL questionne donc ces choix éditoriaux récurrents et invite les médias à redoubler d’efforts lors de leur couverture médiatique des débats au Sénat.
Compte-rendu de l’étude PMA
En 22 jours, la PMA a été abordée 35 fois dans les journaux d’informations de 8h ou les interviews des matinales des 5 radios généralistes françaises.
Cela a été particulièrement le cas le 24 septembre (8 fois) ainsi que le 6 octobre (6 fois), qui correspondaient respectivement au jour d’ouverture des débats sur la loi bioéthique à l’Assemblée nationale et au jour de mobilisation de la Manif pour tous contre la PMA pour tous.tes.
Le 24 septembre, les 5 radios du panel ont abordé la PMA lors de leur matinale. Une seule a donné la parole à des personnes concernées : deux femmes lesbiennes sur France Inter. Aucune femme célibataire n’a été interviewée. La majorité des matinales a choisi de donner la parole à des hommes non concernés sur le sujet : 9 hommes interrogés contre 5 femmes. 7 personnes favorables à la PMA pour tous.tes ont été interrogées, contre 6 contre.
Le dimanche 6 octobre, 2 hommes ont été interrogés sur la PMA contre 5 femmes, dont une seule concernée (femme lesbienne ayant eu recours à la PMA) dans le journal de 8h sur RMC. Ce jour-là, 6 personnes contre la PMA pour tous.tes ont été interrogées, contre 0 pour. On observe donc un déséquilibre flagrant par rapport au jour d’ouverture des débats à l’Assemblée.
Conclusions
Même si nous notons des efforts par rapport à 2013, avec la visibilisation timide de personnes concernées, nous déplorons toujours de nombreux manquements et déséquilibres dans le traitement médiatique de la PMA.
- La PMA pour tous.tes reste un sujet négligé par les matinales radio : 35 mentions en 22 jours, dont 14 les seuls jours du 24 septembre et du 6 octobre, ça reste peu.
- Les médias donnent toujours très peu la parole aux personnes concernées :
Ce sont les hommes non concernés qui ont été majoritairement interrogés : 29 hommes contre 19 femmes. Et sur ces 19 femmes figurent seulement 3 témoignages de personnes concernées : 2 femmes lesbiennes et une femme célibataire. Les personnes trans’, quant à elles, n’ont pas été évoquées une seule fois en 22 jours. - Le débat binaire est toujours privilégié lorsque les médias abordent la PMA, et dans ce face à face, ce sont les personnes favorables au projet de loi qui ressortent grandes perdantes : 14 pour, contre 25 contre.
- La Manif pour tous grande gagnante : sur les 37 fois où la PMA a été abordée, la Manif pour tous a été évoquée 23 fois.
- Une sur-représentation de la GPA : alors que la GPA a été clairement exclue du projet de loi, elle a été évoquée 14 fois. La GPA n’a pourtant fait l’objet d’une actualité que lors de deux journées : le 4 et le 10 octobre, avec le vote surprise d’un amendement reconnaissant la filiation automatique d’enfants nés de GPA à l’étranger, puis son rejet lors d’un second vote. Or sur les 14 fois où la GPA a été évoquée, elle ne l’a été que 4 fois lors de ces deux journées. Elle ne faisait donc l’objet d’aucune actualité les 10 autres fois, hormis dans la bouche des anti-PMA qui citent quasi-systématiquement la GPA.
- L’information au rabais : quasiment aucune matinale radio n’a cherché à expliquer concrètement le contenu du texte, pourtant très dense, et aucune place n’a été laissée au débat de fond sur ce projet de loi.
Le sujet de la PMA a donc été sous-traité, comme le pointe également le baromètre annuel de La Croix sur le rapport des Français aux médias : 37% des interrogé.e.s trouvent que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes n’a pas assez été traitée par les médias français.
L‘AJL et Prenons la Une vous proposent d’échanger autour des résultats de cette étude et plus largement sur les impensés du traitement médiatique de la PMA pour tou·te·s lors d’une table ronde, le 3 février à l’école W (210, rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris).